Le Conservatoire du littoral a été créé pour acheter, en vue de leur protection définitive, des espaces naturels sur nos côtes, lorsque leur richesse écologique ou la qualité des paysages le justifie. Il a progressivement, depuis vingt trois ans, acquis, remis en état, et ouvert au public cinquante cinq mille hectares sur trois cent cinquante sites, représentant au total 11 % du linéaire côtier français. Devenu ainsi propriétaire de dunes, de marais, de prairies ou de falaises, le Conservatoire a constaté que s’y trouvait quantité de bâtiments, d’aménagements humains, de ruines, de fossés, d’écluses… Responsable d’un patrimoine naturel, il se trouve de ce fait héritier de la mémoire et des traces d’une histoire humaine, ce qui lui confère aussi une responsabilité culturelle.
Ces édifices, liés à l’histoire militaire, sont évidemment nombreux. Sur les mille huit cents constructions recensées, une trentaine sont des constructions militaires importantes : forts, tours, génoises ou sémaphores, par exemple, auxquels s’ajoutent une centaine de ruines et plus de trois cents blockhaus.
Moins visibles, de précieux témoignages ne sont pas compris dans ce recencement : d’anciennes disputes, les éperons barrés de Bretagne, les installations de défense des domaines abbatiaux ou, tout simplement, les “déserts” littoraux de Corse, dus au fait que les villages se sont perchés à l’intérieur des terres pour décourager les raids barbares.
Convention sur le patrimoine militaire
La Méditerranée n’est plus livrée aux pirates, les forts édifiés tout au long des côtes dans la première moitié du XIXe siècle sont devenus obsolètes dès que l’obus a remplacé le boulet et le mur de l’Atlantique n’attend plus de débarquement. Le Conservatoire du littoral, se trouve pour partie en charge de cette mémoire. La réorganisation de notre système de défense conduit à rechercher de nouvelles affectations pour de vastes espaces et de nombreuses constructions aujourd’hui encore affectées aux armées. Deux conventions ont été signées, le 17 février 1993, puis le 5 décembre 1994, entre le ministre de la Défense et le président du Conservatoire du littoral. Elles créent, au profit de l’établissement, une priorité d’affectation pour les immeubles entrant dans le champ de sa mission, et déterminent les modalités de leur transfert, en traitant notamment du problème délicat de ce que les militaires appellent la “dépollution” et le commun des mortels “déminage”1 .
Ces conventions ont conduit à l’affectation au Conservatoire de cinq cents hectares pour quatorze sites : cent cinquante hectares sont en cours de transfert et l’affectation de trois cents vingt hectares supplémentaires est envisagée sur vingt sites.
Convention et tourisme de guerre
Parmi les éléments les plus remarquables du patrimoine militaire, aujourd’hui possédé par le Conservatoire du littoral depuis sa création, on peut citer le fort d’Audinghen, dans le Pas-de-Calais, monument historique classé, comme le sont les fortifications de l’île de Tatihou dans la Manche. Le Conseil général de ce département, qui gère l’île pour le compte du Conservatoire du littoral, y a assuré avec lui la remise en état et l’aménagement de la plupart des éléments bâtis, très importants, de l’île. Celle-ci accueille un public nombreux, notamment dans le cadre d’activités scolaires. Dans la Manche également, le fort du cap Lévi, profondément modifié par le précédent propriétaire, a été restauré et aménagé en gîtes ruraux. Dans le Calvados, la redoute de Merville, monument inscrit, fait, elle aussi, l’objet d’importants travaux et devrait devenir un observatoire sur l’estuaire de l’Orne.
Les batteries de Longues sont également inscrites à l’Inventaire. Elles sont le fleuron des “sites du débarquement” dont le Conservatoire est devenu, pour l’essentiel, propriétaire. La célébration du cinquantenaire, et le développement du “tourisme de guerre” dont elle a été le révélateur et l’amplificateur, illustrent évidemment le caractère un peu paradoxal de la situation du Conservatoire : il a pour mission de préserver ; il a le souci de faire vivre. Or, si le béton est solide, la dune est fragile. Si la visite d’un monument peut être payante et couvrir ainsi au moins une partie des coûts de gestion, la coutume est chez nous de conserver un accès libre à la nature, ce qui conduit à assumer entièrement la charge de son entretien.
C’est en Bretagne, sans doute, que le patrimoine militaire du Conservatoire est le plus varié. On peut citer le fort de Grognon à Grois ou le réduit de Calgrac’h à Ouessant, très dégradé et sans perspective évidente de remise en état, le beau sémaphore de l’île Besnard à Saint-Coulomb, utile centre d’accueil du public pour l’observation des oiseaux. Ailleurs, le fort de l’île aux Moines à Perros-Guirec, où des travaux considérables de réfection des ouvrage de défense contre la mer sont nécessaires tandis qu’une association dynamique procède à l’entretien des espaces. Celui d’Hoëdic, est aménagé avec la commune pour accueillir une école de voile, des associations locales et des manifestations culturelles. Tous les problèmes liés à l’insularité, aux coûts des remises en état, voire des simples consolidations, se présentent à nous. Mais aussi, toutes les opportunités de partenariat avec des collectivités locales, comme avec les associations de bénévoles souvent passionnés.
En Bretagne, également, la pointe de la Varde à Saint-Malo, voit se superposer à l’éperon barré des fortifications classiques et des blockhaus du Mur de l’Atlantique. La “dépollution” du site, en 1992, avait conduit à désactiver plus de six mille pièces et avait coûté à elle seule sept cent mille Francs. Souhaitons que les projets muséographiques, à l’étude, permettent de faire mieux comprendre la généalogie des ouvrages de défense sur le cap.
Mémoire sociale et réutilisation
D’autres forts et d’autres îles, plus au sud, ne sont plus habités que par les goélands, tels Dumet, à sept milles au large de Piriac, et ses deux forts, dont l’un a été construit au XVIe siècle. Le Conservatoire et la commune voudraient y rétablir une présence humaine en réinstallant un garde.
Les premiers travaux vont commencer et l’architecte Philippe Prost a conduit une étude approfondie à cette fin.
Le fort Liédot, à l’île d’Aix, classé monument historique, offre des possibilités d’aménagement importantes. Un projet, tendant à y installer des résidences d’artistes et un lieu de spectacles et d’expositions, y est à l’étude pour ce site.
N’oublions pas, beaucoup plus au sud, dans les Pyrénées-Orientales, le Fort carré et la tour de l’Étoile à Collioure, le Pla de Las Forques ainsi que le fort du cap Béhar. Ce dernier n’est qu’un des éléments d’un projet plus ambitieux : celui de la réhabilitation et de la mise en valeur du site de l’ancienne usine d’explosifs de Paulilles. Vendu par l’État dans les années 80 à un promoteur, qui rêvait port de plaisance et lotissements, quoique le site soit classé, il vient d’être racheté par le Conservatoire du littoral, qui aura à y restaurer un paysage naturel gravement défiguré, sans oblitérer la mémoire sociale d’une activité humaine dangereuse et exigeante, encore fortement revendiquée localement.
Une autre poudrière en Provence, celle de Saint-Chamas, au bord de l’étang de Berre, vient de nous être affectée. Elle posera les mêmes questions : que doit-on conserver, que peut-on démolir, quelle place faire à une nature de reconquête, quel usage faire de bâtiments à la personnalité très forte ?
Sur le littoral de Provence-Côte-d’Azur, on peut aussi citer l’archipel de Riou, le Fort carré d’Antibes et l’ancienne base aéronavale de Fréjus, partagée entre le Conservatoire, qui garantira le caractère naturel de la partie la plus proche de la mer, et la commune, qui s’est engagée à ne faire sur la partie arrière que des aménagement sportifs limités.
Enfin, le Conservatoire est propriétaire de la plupart des tours génoises du littoral de la Corse. Progressivement remises en état, elles sont aussi, grâce à l’aide de la Fondation EDF, mises en lumière pour jouer mieux encore leur rôle d’amer.
Les objectifs du conservatoire
Ces exemples montrent la diversité des éléments du patrimoine militaire dont le Conservatoire du littoral devient progressivement propriétaire.
Ils illustrent aussi les problèmes que pose ce patrimoine et le caractère pragmatique des réponses que le Conservatoire tente d’apporter à ces problèmes. Il a souhaité affiner sa réflexion en organisant deux colloques. Le premier, en 1994 s’appelait “Mémoires, traces et cicatrices — le Conservatoire du Littoral et l’esprit des lieux”. Le second, en 1997, était intitulé “Le vert et le couvert : le Conservatoire et ses édifices”. Les actes de ces “Ateliers du Conservatoire du littoral” en font foi : l’établissement n’entend pas se dérober à sa responsabilité culturelle. Aidé par tous ceux qui, dans les services administratifs compétents, comme dans les sociétés savantes ou les associations de bénévoles, s’intéressent au patrimoine militaire, il s’efforcera d’entreprendre les
travaux nécessaires. La convention qu’il vient de signer avec la ministre de la Culture et de la Communication, pour définir les conditions particulières dans lesquelles ces travaux pourront être aidés, constitue pour le Conservatoire et les collectivités locales qui gèrent ses propriétés un précieux encouragement.
Le Conservatoire est aussi très soucieux de rechercher, avec ses partenaires locaux, une utilisation du patrimoine bâti qui le fasse vivre, qui permette d’en comprendre les fonctions et qui soit compatible avec la préservation du caractère des lieux et des paysages qui l’entourent. Les réussites que constituent les batteries de Longues, Tatihou, le fort d’Hoëdic ou le sémaphore de l’île Besnard, sont à cet égard très encourageantes.
Le Conservatoire du littoral n’oublie pas que sa base de travail et son cœur ont été, dès l’origine, enracinés dans une ville-arsenal, Rochefort, et dans l’un des bâtiments les plus exceptionnels de l’industrie militaire du XVIIe siècle : la Corderie royale.
Bibliographie
- Mémoires, traces, et cicatrices — le Conservatoire et l’esprit des lieux, in Annales 94/95 des Ateliers du Conservatoire du Littoral.
- Le vert et le couvert — le Conservatoire et ses édifices in Annales 97/98 des Ateliers du Conservatoire du Littoral.
À paraître :
- D’île en île - l’archipel du Conservatoire, par Louis Brigand, Cahiers du Conservatoire du littoral.
- L’île de Tatihou, par Fabrice Moireau. Carnets du littoral. Conservatoire du littoral, Gallimard.
- Cap Gris-Nez et Cap Blanc-Nez, par Benoît Lobez. Conservatoire du littoral, Actes Sud, Éditions Locales de France.
- Île d’Aix-Fort Liédot, par Philippe Foucault, Conservatoire du littoral, Actes Sud, Éditions Locales de France.
- Île de Tatihou-Cotentin, par Robert Guégan, Conservatoire du littoral, Actes Sud, Éditions Locales de France.
Monographies photographiques :
- Un site, un photographe. Cicatrices (Sites du Débarquement) par Alain Ceccaroli.
- Tatihou, par Frédéric Bellay.
- L’île Dumet, par Bogdan Konopka.
François Letourneux
Conservatoire du littoral
- Le déminage de la France, Danièle Voldman, Éditions Odile Jacob. Après la seconde guerre mondiale, se pose le problème de la neutralisation des mines antichar et antipersonnel. L’ampleur du théâtre des opérations soulève les questions de rapidité d’intervention et de sécurité de la population. L’auteur, directeur de recherche au CNRS, retrace cette épopée qui allie les ennemis d’hier avec plus de trois mille hommes sur le terrain et des opérations relevant du ministère de la Reconstruction pour un budget de deux millions de francs (de l’époque). ↩